L'Alliance franco-russe

12/1944

 

Sans être positiviste, on peut dire qu'il existe certaines lois en politique étrangère. Les peuples y sont déterminés en partie par leur situation géographique, les besoins de leur expansion économique, les menaces qu'ils subissent d'autres peuples.

Ainsi en est-il de l'Alliance franco-russe. Elle est pour ainsi dire fatale. La France y est portée comme de son propre poids.

En premier lieu, nulle part dans le monde les intérêts de la France et ceux de la Russie ne sont inconciliables. La politique russe est orientée à travers l'Histoire par une préoccupation unique : l'accès à la mer libre (n'est-elle pas comme murée entre les mers intérieures, Mer noire, Baltique, etc...). Tour à tour, elle cherche cet accès vers l'Asie ou du côté de l'Europe. En Asie, elle s'est heurtée au Japon, en Europe, elle s'est heurtée à l'Allemagne ou à l'Angleterre. Mais cette tension vers la mer libre ne s'est jamais faite dans des régions où la France a des intérêts absolument vitaux.

Nous ne nous heurtons donc jamais à la Russie. Par contre, nous avons avec elle en commun quelque chose de capital : il est essentiel, pour elle comme pour nous, qu'aucun Puissance n'exerce dans le centre de l'Europe une hégémonie.

Pour que la France ait été séparée de la Russie, ces dernières années, il a fallu deux choses : d'abord l'ignorance étrange où nous étions de la Russie, cette même ignorance qui vaudra à Hitler son échec ; ensuite, la contamination de la politique intérieure.

Ici encore, dénonçons cette erreur qui consiste à juger les rapports internationaux du point de vue de la politique intérieure. Elle nous a conduit à mener une politique incohérente vis-à-vis des Soviets. Nos Gouvernements sentaient la nécessité de cette alliance, mais je ne sais quelle crainte qui n'était pas d'ordre diplomatique les retenait toujours.

Reconnaissons d'ailleurs que dans cette immixtion de la politique intérieure, l'URSS a sa part de responsabilité. Les divorces sont presque toujours à torts réciproques. La Russie, dans l'entre deux guerres, a trop confondu la politique extérieure avec la propagande idéologique. C'est grâce à cette erreur qu'Hitler a pu endormir l'Europe et faire croire, avec une habileté diabolique, qu'il n'était pas le premier péril.

Quoi qu'il en soit, l'Alliance franco-russe est aujourd'hui scellée pour vingt ans. Un pacte diplomatique concrétise une des attitudes nécessaires de notre politique extérieure.

Remarquons que ce pacte situe la France au premier plan de la politique internationale ; que, d'une certaine manière il renforce le Pacte anglo-soviétique. En effet, bien des questions peuvent un jour diviser nos Alliés, telle que la prépondérance en Perse ou l'influence à Salonique.  De 1907 à 1914, la France a déjà été le conciliateur naturel entre la Russie et la Grande-Bretagne, après avoir été l'artisan de leur rapprochement. Un rôle analogue nous attend sans doute dans les années à venir, et il n'est pas exagéré de dire que l'axe Moscou-Londres passe par Paris.